mercredi 22 septembre 2010

DEFINITION DU DOPAGE SPORTIF: UNE BARRIERE FLOUE ENTRE LA DERIVE ET LA NORME

Bonjour à tous! Pour inaugurer mon blog, je vous propose un article sur l'une des grandes problématiques du sport moderne: le dopage. Je vais donc ici m'attacher à analyser dans un premier temps la définition du dopage, ce qui pourra nous aider par la suite à amener d'autres reflexions sur ce thème.
Bonne lecture et excusez moi si le vocabulaire est universitaire, c'est une volonté de ma part pour ne pas tomber dans le discours de café du commerce (bien qu'on y apprenne beaucoup de choses!) et d'éviter de ressembler aux blogs sur l'actualité sportive.





Le sport et l’usage de drogue sont à priori incompatibles. La drogue s’apparente pour beaucoup à une dérive, à une aliénation ou un échec alors que le sport fait appel à des valeurs comme le dépassement de soi, la maîtrise de son corps et la réussite. Pourtant de nombreuses passerelles existent entre l’usage d’une substance illicite (ou non) et la pratique sportive. Il peut sembler difficile que la pratique intense et quotidienne d’un sport de haut niveau ne soit pas « soutenue » par des procédés physiques, psychologiques, biologiques et scientifiques. Ces procédés font référence d’abord aux entraînements, qui permettent de préparer le corps et le mental à la pratique sportive de haut niveau ; à un suivi médical, afin de repérer et de prévenir les risques de blessures ; mais aussi à la prise de produits dits illicites, pratique que désigne le terme de dopage.
Le terme de dopage, est devenu un véritable stigmate[1]dans nos sociétés, par et pour le sens commun, mais aussi et surtout par et pour l’Etat, qui a institué le dopage comme un problème public, et notamment comme un cas de santé publique. L’Etat en tant qu’entrepreneur de morale a créé « la déviance en instituant des normes dont la transgression constitue la déviance »[2]. Nous allons voir pourquoi et comment les autorités publiques ont pris en charge le cas du dopage dans le sport dans un prochaine article, mais d’abord nous devons nous attarder sur cette frontière entre dérive et norme au niveau du dopage dans le sport, qui n’est pas si évidente que cela.

Dans la pratique sportive, il convient de constater le débat entre le légitime et l’illégitime. Qu’est ce qui est permis au sportif de faire, quels instruments peut-il utiliser afin d’accroître ses performances ?
Par exemple on accepte le stage sportif en altitude et on conteste le caisson à oxygène ; on permet à Lance Armstrong un traitement médicamenteux spécifique afin de lui éviter une rechute de son cancer (un traitement qui peut masquer des produits dopants) et on condamne chaque cycliste qui produit des performances douteuses ; on accepte l’injection de vitamine naturelle, et on condamne un déficit hormonal lié à la fatigue ;  de même, dans le même sport, les interdits ne sont pas les mêmes selon les pays : dans le football, on accepte la prise de créatine en Italie (en Lega 1) et on la refuse en France (Ligue 1), de même pour le basket  la nandrolone est admise aux Etats-Unis (en NBA) mais pas en France (en Pro A). On voit donc, que selon le contexte, la définition du dopage peut changer. Il existe une lutte permanente dans la définition du dopage notamment par la catégorisation des produits dopants, qui permet de satisfaire des intérêts particuliers et répond à une volonté politique.

Pour A.M. WASER : « Aux yeux des spectateurs, les sportifs doivent produire des choses exceptionnelles, ils sont perçus comme des surhommes, pour les sportifs jouer avec la règle devient la règle ». Si la culture dominante assimile le sport à une certaine éthique, avec des notions comme le fair-play ou la santé, il y a un décalage avec la culture sportive de haut niveau qui recherche la performance avant tout.
Selon une étude scientifique parut en février 2008[3], le corps humain atteindra ses limites physiologiques en 2027, où à son meilleur niveau athlétique, il serait capable d’atteindre la limite de 9 secondes 68 au 100m. Or, aux derniers Jeux Oympiques, le Jamaïcain Usain Bolt gagna le 100m avec le record du monde de 9 secondes 69 tout en coupant son effort avant l’arrivée. Il a ensuite améliorer ce reccord aux championnats du monde de Berlin en 2009 avec un chrono à 9,58. Toujours selon cette étude, cette performance était donc irréalisable, ce qui confirmerait le dilemme entre culte de la performance et éthique sportive.

La course à la performance peut être une des raisons de l'utilisation de produits dopants mais il en existe d’autres.
Face à une carrière courte, remplie d’incertitudes, le sportif -cerné de toutes parts par des responsabilités au niveau de son entourage, de son pays, de ses sponsors- doit faire face à une pression extra-ordinaire.  Le développement de la médiatisation du sport, avec des intérêts commerciaux colossaux, modifie la structure du calendrier des compétitions et leur durée. Les sportifs doivent alors produire leurs performances au moment des compétitions qui comptent et qui auront des retombées. Le sportif essaye de devenir une « machine à résultats ». Alors que le sport dans son essence est incertain[4].

De plus, si le dopage est considéré comme une pratique déviante à l’extérieur du groupe, il peut constituer une norme dans le milieu sportif. Dans un peloton cycliste par exemple :
Eddy Merx "Ceux qui ne furent pas pris [au Stimul] cette année là [1977], eurent de la chance. Car pratiquement tout le peloton usa du Stimul. Attention, le produit en lui-même n'avait rien de la potion miracle, même si tu en avais avalé deux tubes. Tout au plus aurais-tu passé une nuit blanche. Mais tout le monde, je le répète, en prenait, alors tu faisais comme les autres."[5]
Fausto Copi : « TV italienne : "Tous les coureurs prennent la Bomba [Amphétamines] ?
Coppi : Oui et tous ceux qui prétendent le contraire ne méritent pas que l'on parle de vélo avec eux !
TV : Vous, vous preniez de la Bomba ?
Coppi : Oui ! Chaque fois que c'était nécessaire.
TV : Et quand était-ce nécessaire
Coppi : Pratiquement tout le temps !" »[6]
De même la prise de substances dopantes semble traduire une sorte de rapport libéral au corps : lorsque des cyclistes ou des athlètes professionnels se dopent dans un but de performance, ils mettent aussi en avant leur liberté de choix. Cette conception de la liberté individuelle ne s’accommode d’aucune entrave, notamment celles émanant de l’Etat et de ses politiques de santé publique ou de la jeunesse. Allusion à la certitude d’une légitimité : celle du « droit » de manipuler son propre organisme, du « droit » de se doper dans un système sportif : Peter Winnen : "Je n'ai pas hésité à prendre des stéroïdes anabolisants, une hormone de récupération, avec le risque d'être pris au cours des trois mois suivants. Cela avait été décidé en concertation avec le soigneur et le directeur de l'équipe Peter Post. Mais je trouve qu'en tant que cycliste professionnel je devais avoir le droit d'utiliser cela. Il ne s'agit pas de dopage, mais de médicaments. Il faut autoriser plus de produits. Car, pour l'instant, la liste des produits interdits est inapplicable. "[7] On voit ici que pour Winnen, la légitimité du dopage n’est pas la même que celle des institutions.
Enfin, c'est récemment que médecins et psychologues ont pris conscience que le sport lui-même pouvait devenir une drogue. Pratiqué avec excès, le sport peut être le signe d'un comportement pathologique. En effet, la pratique intensive du sport provoque une mécanisation de l'organisme avec tous les phénomènes de dépendance physiologique (liée à la sécrétion d'endorphines) mais aussi psychologique que cela induit. On voit donc que la frontière entre le sport comme pratique saine et l’identification du dopage comme dérive sportive, n’est pas si évidente que cela. Elle est avant tout construite par les autorités publiques.


[1] Terme emprunté à H.Becker
[2] BECKER (1985) Outsiders. La sociologie de la déviance

[3] Institut de recherche biomédicale et d’épidémiologie du sport (Irmes)
[4] On peut voir une corrélation entre les sports les plus touchés par le dopage (athlétisme, cyclisme, haltérophilie) et le fait que ce sont des sports où la performance physique pure prime sur un talent technique comme les sports collectifs, même si ces sports nécessitent tout de même une certaine technicité.
[5] Eddy Merckx : la roue de la fortune du champion à l'homme d'affaires - J. Godaert - Editions Gamma Sport 1989, cité par Jean-Pierre de Mondenard dans le Dictionnaire du dopage, Jean-Pierre de Mondenard, page 868
[6] Nouvel Obs 19/11/1998

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